« On impose des critères physiques aux femmes pour faire certains métiers »

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« On impose des critères physiques aux femmes pour faire certains métiers »

Jean

Centre social de Clichy-sous-Bois

Un épisode est resté fortement ancré dans ma mémoire.

C’était au moment des concours des écoles de commerce. J’étais admissible à l’ESCP, et j’avais eu un entretien teinté de machisme et de sexisme. A cette époque, en juin 77, on était la troisième promotion ouverte aux femmes. Donc c’est dire que c’était quelque chose de pas évident pour tout le monde. Je me rappelle de ce flot de questions absurdes comme : « Mais pourquoi voulez-vous faire ce genre d’études ? Est-ce que votre mère travaillait ? Est-ce que votre grand-mère travaillait ? Voulez-vous des enfants ? Etc. »

Et à l’époque, à 19 ans, je n’étais pas assez armée pour oser faire des réparties dont j’étais parfaitement capable plus tard, sur le registre : « posez-vous la même question aux garçons ? En quoi ces questions ont-elles un sens ? ». J’étais complètement démunie. Le directeur de l’école était le président du jury, c’était le coefficient le plus important de toutes les matières, et c’était la première fois que je ressentais le sexisme. En famille ou à l’école, je n’avais pas vraiment ressenti de discrimination entre filles et garçons. On était dans une école mixte, et mes parents m’ont éduquée de la même manière que mes frères.

Cet entretien, je l’ai vécu comme une mise à l’épreuve injuste. Je me souviens de m’être retenue, mais d’avoir fondu en larmes dès que je suis sortie, complètement effondrée. Puisqu’on était à l’époque les premières étudiantes de cette grande école, je peux comprendre, rationnellement et intellectuellement, qu’ils voulaient s’assurer, en recrutant des femmes, qu’ils ne formeraient pas des mères au foyer, qui ne serviraient pas la bonne réputation de l’école en occupant des postes haut placés. Donc j’imagine qu’ils voulaient vérifier qu’on avait une intention de travailler… Mais ça me paraissait tellement saugrenu : si je passais ce genre de concours, c’était évidemment pour travailler.

J’ai finalement été admise et avec mes amies, on a créé un « groupe femmes » dans l’école. On faisait des expos en plein débat sur l’avortement, des débats sur la place des femmes dans l’entreprise… On faisait des petites actions comme ça un peu militantes. Ce qui était quand même bizarre à l’époque dans une école de commerce. Et je me rappelle que beaucoup de garçons de notre promo nous regardaient d’un regard narquois, même si certains trouvaient ça génial. Et les femmes devaient représenter à peine un tiers des étudiants de l’école. Alors qu’en prépa, on était loin d’être minoritaires… Donc j’ai vraiment le souvenir d’avoir ressenti et mesuré une injustice profonde. Je pense qu’on avait d’ailleurs créé ce groupe par réaction, parce qu’on avait toutes mal vécu cet interrogatoire misogyne. Et c’était important pour moi « d’exister » dans cette école.

Une fois rentrée dans la vie active, j’ai ressenti à nouveau cette forme de sexisme, parce je dirigeais des services, et que parallèlement, j’ai fait le choix d’avoir une famille nombreuse. Je pense qu’inconsciemment, j’ai toujours cherché à être sur des postes de numéro un, dans de petites structures, pour avoir une sorte de légitimité et d’autorité naturelle, de par ma fonction. Mais je faisais toujours très attention à ne pas donner l’impression que mes choix de vie puissent pénaliser mes compétences professionnelles. J’avais une telle conscience professionnelle que, même pendant mes congés maternité, je continuais à suivre en permanence ce qu’il se passait à la mairie. Comme beaucoup de femmes, je me mettais une pression énorme pour que rien ne me soit reproché. Ce qui n’a pas empêché un maire, avec qui j’avais travaillé quelques années auparavant, de me présenter à une personnalité comme « la directrice générale des services, mais qui n’arrête pas d’être en congé maternité ». Et ça, je l’ai à nouveau ressenti comme quelque chose d’extrêmement violent.

Mais ça ne m’a pas empêché de faire mes choix. A plusieurs moments de ma vie, j’ai pris des congés parentaux pour être plus disponible pour mes enfants, même s’il fallait abandonner l’ambition d’accéder à certains postes. Ces choix, je les ai très bien vécus parce qu’ils étaient décidés, et temporaires. Et ma façon à moi de trouver mon équilibre, c’était de me faire beaucoup aider en prenant une femme de ménage avec beaucoup d’heures, une nounou ou une jeune fille au pair, pour avoir toute ma disponibilité pour mes enfants quand je rentrais. Mon mari a toujours été très participant aussi. Il a accepté qu’une part significative de nos revenus aille dans le fait de faire travailler des gens pour que tout se passe bien. Mais il est vrai que, de facto, comme une maman qui veut d’occuper de sa couvée, j’étais beaucoup plus impliquée pour orchestrer tout ça.

Après, en famille, on m’a aussi régulièrement reproché de trop m’investir dans mon travail (rires). Je suis d’un tempérament bosseur et passionné, avec du coup l’envie de réussir à tout faire le mieux possible. Et forcément, il y a des moments où on se prend les pieds dans le tapis (rires). Mes cinq enfants ont peut-être un peu souffert de certaines périodes de ma vie professionnelle où je terminais assez tard, et où ils devaient m’attendre jusqu’à 21 heures pour diner « tous ensemble ». Je me rappelle que, parfois, ils étaient terriblement en colère contre moi parce qu’ils avaient faim ou qu’ils avaient autre chose à faire. Et ça, c’est vrai que c’était un peu la double peine. Tu rentres d’un boulot crevant où tu n’as pas arrêté, et tu te fais engueuler quand tu arrives pour diner enfin en famille. Après, je veux bien comprendre que du point de vue d’un jeune de 15 ans, qui est sorti tôt du lycée et qui a super faim, ça peut être chiant d’attendre sa maman jusqu’à 20h45 pour pouvoir se retirer tranquillement dans sa chambre. Je reconnais que j’ai placé la barre par rapport à mon étalonnage à moi, et pas par rapport aux leurs. Aujourd’hui je pense qu’ils ont compris, et que j’ai réussi à leur transmettre ces valeurs d’égalité entre hommes et femmes.

Ce que je voudrais dire s’adresse plus aux femmes : osez chercher votre propre équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, trouvez ce qui restaure votre propre énergie et soyez vigilantes aux diktats. Pour chacune d’entre nous, je pense que cet équilibre est différent. Et pour savoir, il faut s’affranchir des « obligations de femmes », au travail ou en famille. En ce qui me concerne, mon énergie venait de cette alliance entre ma vie professionnelle et vie familiale. Soyez attentive à vous et aux projets dont vous avez besoin.

Ce qui me choque, c’est qu’on impose plus de critères physiques aux femmes qu’aux hommes pour faire certains métiers.

Par exemple, les hôtesses de l’air doivent toutes être grandes, minces et belles. Il y a aussi des critères pour être steward, mais moins je pense, et ça me choque.

Pourquoi est-ce qu’elles devraient être grandes ? Pour prendre de la hauteur ? Pour embellir la compagnie ?

Un jour, je me suis aperçu qu’une fille au centre social s’était arrêtée de déjeuner. Elle ne grignotait plus qu’une pomme, et c’est tout. Elle m’a expliqué qu’elle avait décidé d’arrêter de manger pour qu’on arrête de la traiter de grosse. J’étais dépité. Je ne savais pas quoi répondre.

Je trouve ça aberrant de voir des femmes se priver de manger pour leur image.

Ces critères, imposés à différents niveaux de notre société, ça oblige les femmes à se conformer à un moule. Et ça dévalorise toutes les autres.

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