« Ma mère m’a demandé d’arrêter l’école à 13 ans, mais pas à mon frère »
Caroline
Centre social de Clichy-sous-Bois
Ce n’est pas pareil dans toutes les banlieues et dans toutes les cités. Il y a des lois propres à chaque quartier.
Ici, c’est vraiment dur d’être une femme. Et il n’y a pas que les hommes, il y a aussi les autres filles, qui peuvent être très dures et très méchantes.
Avec le recul, je leur en veux quand même moins à elles. Parce que je sais que c’est par jalousie et par envie qu’elles critiquent ou qu’elles insultent. Beaucoup de femmes empêchent les autres femmes de faire ce qu’elles-mêmes ne peuvent pas faire.
Moi, je viens de chez les gitans. Et même si je ne me considère pas à 100% gitane, il y a aussi des codes propres, qui font que j’ai aussi été élevée différemment de mon frère. Par exemple, ma mère m’a fait arrêter l’école à 13 ans. Mon frère avait le droit de continuer d’aller à l’école, mais moi il fallait que je reste avec elle, pour lui tenir compagnie et prendre soin d’elle. Et pas le contraire. Il fallait que je fasse la cuisine et le ménage. C’est assez courant chez nous, mais moi je ne ferai jamais ce choix pour ma fille. Je lui en ai beaucoup voulu pour ça.
Aujourd’hui, je n’ai plus vraiment de lien avec ma famille, ni avec le père de mes enfants. J’élève seule mes trois enfants et je suis bien dans ma peau.
Quand j’ai connu mon ex-mari, j’avais 20 ans. Il m’interdisait d’être coquette et de porter des vêtements féminins. Puis il m’a vite fait déménager à la campagne avec lui. Et hop ! Enfermée, pas de permis, plus de famille, plus d’amis… Je suis restée 13 ans avec lui, en étant l’ombre de moi-même. Par exemple, aujourd’hui, j’ai les cheveux longs, mais pendant des années il me demandait de les couper au carré parce que, d’après lui, les cheveux longs attiraient plus le regard des hommes !
J’ai retrouvé ma féminité et mon caractère quand je lui ai dit d’aller se faire foutre et que j’ai divorcé. Et aussi quand j’ai repris mes études, et que j’ai passé mon permis à 33 ans au lieu de 18 ans. Aujourd’hui, j’assume ma vie, j’ai réussi à mettre un peu d’argent de côté en me saignant aux quatre veines, et à avoir un joli appartement. Mais ce n’est pas facile tous les jours. En tant que mère célibataire, élevant seule ses trois enfants, je me fais souvent harceler. Par mon voisin qui sonne plusieurs fois par semaines à la maison en utilisant des prétextes bidon, par exemple. Mon propriétaire m’a aussi envoyé un message pour me dire qu’il m’aimait beaucoup…
Il faut avoir la force de supporter tout ça. Et parfois je mens quand j’ai peur, pour me protéger. Par exemple quand je rentre à la maison, et qu’un type ne me lâche pas, je dis à ma fille : « Rentre, et dis à Papa que je suis là… ».
Mais c’est aussi valable partout ! En vacances, par exemple, dans les stations-service ou dans les hôtels, et que je suis seule, on me regarde bizarrement. Je suis obligée de dire parfois : « Je suis seule, mais je ne suis pas disponible. »
Quand tu es une femme seule, tout est plus compliqué. Il faut supporter l’ambiguïté en permanence, et c’est une vraie galère. Pour eux, tu es une proie. Tu es seule, donc tu es faible.