« Les chirurgiennes n’ont pas le droit à l’erreur »
Leslie-Anne – France
J’ai un métier qui déjà, est un « métier d’homme », puisque je suis chirurgien… Et je ne dis même pas chirurgienne, puisque aujourd’hui c’est un mot qui rentre à peine dans le langage courant et qu’on utilise encore assez peu sur le terrain.
Parfois, au sein du personnel soignant, d’autant que je suis jeune, les gens ont un peu du mal à accepter qu’une femme jeune comme moi puisse leur donner des ordres. Les patients ont plutôt l’image paternaliste du vieux chirurgien bedonnant, avec un peu de barbe, d’une cinquantaine d’années, qui rassure. Même s’il ne fait pas forcément mieux, c’est vrai que l’image est importante et que ça rassure plus certaines personnes.
Avec mes collègues masculins, ça se passe plutôt bien. Mais il arrive qu’il y ait des petits soucis entre eux pour savoir qui est le plus grand des chirurgiens, et ils ne se mesurent jamais à moi. Je ris souvent du fait que certains d’entre eux pleurent sur mon épaule après un bloc difficile, mais font les fiers et forts devant leur collègue. Il y a parfois des remarques misogynes aussi, et dans ce cas-là je les recadre assez vite. Un jour, un ami chirurgien d’un autre service me parlait d’une chirurgienne au bloc en me disant : « c’est normal, qu’elle mette des plombes à opérer. Tu sais bien que les femmes chirurgiens ne sont pas équivalentes à leurs confrères masculins. » Et là, je lui dit : « heu, tu te rends bien compte que tu dis ça devant moi ? » Et là le gars me répond : « ah mais non, hein ! Toi c’est pas pareil, toi tu es l’un d’entre nous… » J’étais donc assimilée à un homme parce que j’opérais bien. Et cette femme, si elle ne savait soi-disant pas opérer, c’était parce qu’elle était une femme. Pourtant, j’ai plein de collègues qui n’opèrent pas si bien que ça ou qui n’opèrent pas très vite, mais comme ce sont des hommes, il n’y pas de problème en fait. Parce que la chirurgie c’est fait pour les hommes, qu’ils soient bons ou mauvais. Si un homme est moins bon, c’est parce qu’il a eu une sale journée. Si c’est une femme, on va plus facilement faire porter le chapeau à sa fonction de femme. Dans ce contexte, les femmes n’ont évidemment jamais le droit à l’erreur.
Et c’est vrai que du coup, moi je suis hyper carrée. Contrairement à certaines filles, je fais toujours gaffe à laisser les problèmes à la maison ou à ne pas être trop coquette au boulot. Et c’est vrai que dans le service, certaines craquent parfois en pleurant ouvertement devant le chef de service. Parfois juste parce qu’elles ne sont pas bien, mais aussi parfois en utilisant cette condition féminine, « de femme faible », pour obtenir des plus. Et dans ces cas-là, c’est sûr que c’est agaçant parce que ça décrédibilise celles qui font bien leur métier. Même si des garçons vont aller la voir pour l’aider et la consoler, moi, après, je me prends toutes les remarques du genre : « voilà pourquoi il ne faut pas trop de nanas dans le métier ». Et tout ça devant moi, hein ! (rires) Là je dis, « hé ho ! Je suis là, je ne suis pas un homme hein ! » Et ça, c’est assez rageant. J’essaie de montrer qu’on peut être femme et toute aussi bonne que les hommes, voire meilleure bien sûr !
Par contre, en amour je fais peur aux hommes (rires). J’ai un métier qui les effraient… On connait le pouvoir insoupçonné qu’à le métier de chirurgien sur la gente féminine, dont certains jouent d’ailleurs un peu trop… et le fantasme de la douce infirmière. Mes copines infirmières, quand elles disent leur métier, les types ont des étoiles dans les yeux, tandis que dès que tu dis médecin-chirurgien, c’est tout de suite dans l’imaginaire des gens une femme dominatrice. Celle qui donne des ordres à tout le monde, qui gagne beaucoup d’argent et qui « ouvre » parfois les gens. (rires) Et comme je ne suis ni Cruella, ni la petite fille effarouchée, et que je suis normale, je crois que ça fait flipper ! (rires) Alors je dis toujours d’abord que je suis médecin – parce que déjà je n’ai pas ce côté qu’on souvent les mecs de se vanter d’être chirurgien – et pour ne pas les faire fuir !
Et s’il y a peu de femmes dans ma spécialité, c’est par conditionnement. Moi, quand j’étais plus jeune, je voulais être puéricultrice pour travailler avec les enfants, un « métier de femme ». Mes professeurs au lycée ont réussi à me convaincre de mes capacités en me suggérant d’être plutôt pédiatre. L’idée ne m’a pas quittée, mais j’ai finalement choisi la chirurgie.
Ce que je voudrais dire, c’est qu’il y a clairement une place à prendre pour les femmes. Il ne faut pas qu’elles se disent que c’est un métier d’hommes, parce que ce n’est plus le cas et ça ne doit plus l’être. C’est un métier de praticiens et de praticiennes, qui est fait de compétence, indépendamment du sexe. Il ne faut pas se fermer, en se disant qu’on ne peut pas faire ce métier parce qu’on est une femme.