« Je suis divorcée et je ne suis pas une miskina »

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 « Je suis divorcée et je ne suis pas une miskina »

Raja – Maroc

La condition féminine au Maroc et dans le monde arabe en général me met en colère.  C’est pour ça que je pose comme ça ! Depuis mon enfance, on m’appelle la révoltée dans la famille. Parce que je m’insurge contre les lois, les mœurs et les traditions patriarcales.

Ce qui m’énerve le plus au Maroc, c’est « MISKINA », c’est-à-dire « la pauvre femme ». Toutes les femmes qui ont tardé à se marier, qui ont divorcé, ou qui n’ont pas eu d’enfants sont des éternelles Miskina.

A la maison, on était 10 enfants, 4 frères et 6 sœurs. Mes parents étaient des gens très traditionnels et très modestes. Très tôt, mes soeurs étaient toutes divorcées, parce que mariées à 14-15 ans. J’avais toujours cette image, qui ne me quittait jamais, de mes sœurs qui pleuraient, parce qu’elles n’avaient pas de travail, pas de revenus, et que certaines revenaient déjà avec des enfants. Et moi, j’étais en colère contre cette situation, je voulais m’affirmer et je n’avais qu’une seule rage : terminer mes études et être indépendante.  Et pour les autres, c’était moi « la miskina » ! Mes parents ne les ont pas forcées, ce sont mes sœurs qui voulaient, parce que c’est la tradition. Mais je dois dire qu’il n’y a pas eu de résistance de la part des parents. Et moi, j’aurais aimé qu’ils leur disent « non, vous êtes trop jeunes pour vous marier, continuez vos études ! » Mais c’était la norme dans la société marocaine… Et moi, j’avais la rage contre ces traditions. J’ai eu beaucoup de demandes en mariage aussi, mais je les ai toutes refusées.

Je me suis jurée de ne dépendre que de moi-même. J’ai fait tout pour, et j’y suis arrivée. Aujourd’hui, je suis chef de département de l’agence bibliographique à la Bibliothèque nationale de Rabat. Cela dit, je me suis aussi mariée après mes études, trop jeune, à 22 ans, et j’ai quand même dû attendre 20 ans pour divorcer ! Tout cela à cause de cette loi qui ne me permettait pas de divorcer, à moins d’avoir un bras de cassé… avec preuves et témoins. Mais dès que j’ai eu la possibilité de demander le divorce quand je voulais eh bien je l’ai fait ! Et je suis redevenue une« miskina », pour tout le monde ! Alors que je me juge plus épanouie que beaucoup d’autres femmes mariées.

Cependant, lasse d’être taxée de « miskina » en permanence, j’avoue que je mens parfois. Sur certains papiers, j’écris encore « mariée », au lieu de « divorcée », parce que j’ai peur du regard des autres. Idem avec les quelques collègues qui me demandent comment va mon mari, je leur réponds qu’il va bien. Tout simplement parce que je sais qu’ils ne se comporteront pas de la même manière avec moi, et parce que je n’ai pas envie que ce regard de pitié et ce nom de « miskina » me poursuivent… Mais ça me met en colère de cacher ça. Je ne me cacherai plus désormais, je n’ai plus l’âge ni la patience.

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