Dans le nord du pays, où les croyances en la sorcellerie restent fortement ancrées, des camps abritent des femmes bannies par leurs familles.

Dans le nord du pays, où les croyances en la sorcellerie restent fortement ancrées, des camps abritent des femmes bannies par leurs familles.

Au Ghana, plusieurs centaines de femmes, ainsi que quelques hommes, vivent reclus dans des camps après avoir été accusés de sorcellerie. Avec Paul Blondé , nous avons décidé d’aller à leur rencontre. Après plusieurs heures de route dans la brousse, nous sommes arrivés au village de Gambaga, au nord-est du pays, à 1h du Burkina Faso, où se situe l’un des plus grands camp du pays, en périphérie du village.

Très peu de reportages avaient été faits sur ces camps. En arrivant à Gambaga, nous redoutions l’omerta. Parce que la sorcellerie est de fait un sujet tabou, parce que nous étions des inconnus et parce que ces femmes subissent de véritables traumatismes, de l’accusation à la fuite, avant d’arriver ici. Protégées par le groupe mais noyées dans la masse du camp, ces femmes sont depuis leur accusation dénuées de leur identité propre. Elles ne sont plus que des « sorcières », plus que poussière dans leur propre village. Beaucoup d’entre elles ne se souviennent plus de leur âge. Alors pourquoi se laisser aller aux confidences quand, depuis plusieurs années, vos proches, voisins, amis et parents vous ont retiré toute once d’humanité jusqu’à vous chasser de votre propre maison ?

Ce fut tout l’inverse. Quelques heures après avoir fait connaissance, Puakugu vint la première nous conter son histoire. Au fur et mesure de la conversation, une file d’attente se forma devant nous au réfectoire du camp. Ces femmes sont venues tour à tour, pendant plusieurs heures, accompagnées d’un traducteur, pour nous conter leur histoire à la première personne, comme pour conjurer le sort, comme pour exulter.

Les récits de ces femmes sont à peine croyables. Pour comprendre, il faut d’ores et déjà comprendre le mécanisme de la sorcellerie au Ghana, et plus largement en Afrique de l’ouest, qui prend naissance par la parole, l’accusation.

Ces histoires, particulièrement dures, puisque d’une violence banalisée, sont aussi celles de femmes qui dérangeaient, parce que socialement hors norme. Par leur statut particulier – de veuves, de femmes trop âgées ou malformées – ou parce qu’elles ont osé déjouer certaines obligations. Condamnées depuis à vivre au camp et perdues dans un espace-temps imperceptible, beaucoup de leurs récits comportent des incohérences.

J’ai décidé de les retranscrire tels quels. Pour faire exister ces histoires et rendre ces paroles qui nous ont été confiées, pour ne pas laisser ces vies dans un carnet de terrain on comprend pas, pour ne pas oublier.

Aujourd’hui, la publication de ces récits prend une dimension toute particulière depuis la fermeture officielle des camps dans le pays début 2015. Que sont devenues ces femmes ? Ont-elles pu et voulu rentrer dans leur village ? La réponse m’est inconnue.

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