« Toutes les femmes devraient prendre des cours d’autodéfense »
Yousra – France
Pour moi, le sexisme, ça fonctionne un peu par anecdote qui cristallise des sentiments et des débuts de construction de mentalités.
Moi, ma mère a toujours été très féministe. Un féminisme assez rigolo : elle travaillait 50 heures par semaine, elle jouait son rôle social de femme forte, et elle mettait un point d’honneur à ramener l’argent à la maison tandis que mon papa s’occupait de moi. D’ailleurs, mon père s’amuse encore aujourd’hui en me disant : « ta maman était tellement féministe que c’est moi qui t’ai gardée, qui te faisait la cuisine, qui te chantait des berceuses ! C’était moi ta maman ! » Ma mère ne faisait pas la cuisine non plus, et pour elle, c’était du féminisme de ne pas savoir cuisiner. Elle le revendiquait et elle en était très fière. Pour moi, elle a été un modèle de femme forte, qui restait très séductrice. Mon papa était très autoritaire. On l’appelait d’ailleurs Staline à la maison, peut-être aussi à cause de sa moustache. C’était un grand séducteur, qui considérait tous les hommes, lui compris, comme de potentiels prédateurs. Et lorsqu’il a vu que je devenais une femme, il a paniqué. Il m’a dit : « Ma fille, il va falloir que tu commences à savoir te défendre. » Et il m’a inscrite en cours d’aïkido. J’en ai fait pendant 4 ans, on se battait avec des espèces de faux poignards en bois, et aussi avec des lances (rires). Puis du taekwondo et du Viet Vo Dao. C’était rigolo…Parallèlement au collège, il n’y avait que 3 catégories de filles : les copines, qui n’ont pas vraiment de corps, les bonshommes qui cachent leurs formes sous des gros sweat, et les putes. Je me rappelle, en 6ème, de cette fille qui avait couché avec un garçon et qui s’était fait démolir. Ça m’avait marquée. Alors que pour les garçons, le sexe était quelque chose de valorisant qui faisait d’eux de véritables « hommes », les filles qui couchaient était exclues, raillées et traitées de tous les noms.
Avec tout ça, j’ai développé très tôt une peur des hommes, et une peur du sexe aussi. Je voyais le pénis comme une arme. Pour moi, mes hommes étaient toujours armés, parce qu’ils avaient un pénis, et nous les femmes, on était donc toujours désarmées.
Et du coup, se faire pénétrer, ce n’était pas un geste d’amour pour moi, mais un geste de violence. Il n’y a qu’à citer les mots qu’on utilise. Ils sont super violents : « il l’a défoncée, il l’a niquée, il l’a trouée ! » Puis le saignement que ça pouvait engendrer me faisait penser à une blessure. Pour moi, perdre sa virginité, et donner ça à un homme, c’était comme… (Silence) se rabaisser. Du coup, j’ai décidé de faire ça toute seule… Je ne voulais pas que quelqu’un me fasse « violence » à ma place. Je devais avoir 15 ans… J’ai pris une énorme carotte ! (rires) Je n’avais jamais vu de pénis, et je m’étais dit que ça devait ressembler à un pénis. Je n’ai pas saigné, j’étais contente, mais j’ai eu vachement mal ! (rires) A partir de ce moment-là, je me suis sentie libérée de l’avoir fait moi-même. C’était un peu au moment de ma période punk au lycée où j’étais un peu en colère contre tous les hommes. Le moment où je commençais à rentrer plus tard et où je croisais des petits filous de la rue, des mecs hyper lourds, des gens bourrés qui ont envie de te toucher, qui te suivent. Des gens qui essaient de t’embrasser en soirée alors que tu n’en as pas envie, qui te draguent, puis quand tu dis non, qui deviennent un peu violents en te traitant de pute. Et du coup, dans ces moment-là, j’étais très en colère.
J’avais ce truc un peu extravagant : j’avais toujours un petit Opinel sur moi. Mais mon père avait préféré m’emmener à l’armurerie de la Porte des Lilas, pour le remplacer par une petite bombe lacrymogène, que j’avais toujours sur moi, que je n’ai jamais utilisé mais qui me rassurait pas mal. Mais je voulais aussi un truc qui pique, alors j’avais aussi une fourchette enroulée autour du poignet, en guise de bracelet. Mais ça correspondait à la période de l’adolescence, où tu as plein d’accessoires étranges et où tu es en colère.
Il y a quelques années, j’étais dans le métro assez tard. Un type bourré essayait de m’a plaqué contre la porte dans la rame. J’essayais d’enlever sa main, mais je sentais que le mec était hyper tendu et j’avais peur. Et là, il y a une nana qui est arrivée de je ne sais où et qui s’est exclamée « Thérèse ?! » Je n’ai rien compris au début, mais en fait, c’était une technique pour me sortir du pétrin et détourner l’attention du mec. Une sorte de sauvetage en fait. Une grande noire, hyper classe, avec une chemise et un grand col Mao. Bref, ça a été ma superwoman ! Ça s’est terminé héroïquement, parce qu’il a aussi essayé de l’embêter, et là tous les gens de la rame s’y sont mis pour l’éjecter à la prochaine station. Et du coup, après ça, j’ai eu envie de faire quelque cours d’autodéfense, et j’y ai appris qu’elle s’était servie d’une technique de sauvetage féministe.
Je pensais que le machisme, c’était réservé aux petits filous…Mais après, j’ai commencé à évoluer dans des milieux beaucoup plus bourgeois, avec de vieux hommes blancs, des barbus à costard, tout aussi libidineux. Je me souviens avoir travaillé dans une entreprise où, dès le premier jour, j’avais vraiment l’impression d’être un bout de chair fraiche… et de sentir le sperme de chaque homme qui me regardait dégouliner le long de sa cuisse. J’ai été appelée « mon petit chaton » dès le premier jour. Et tout ça dans un milieu politique, socio-démocrate, qui était occupé par 80% d’hommes entre 30 et 45 ans. Des gens à lunettes qui ont fait Sciences Po. J’étais assez désemparée, je ne savais pas comment réagir. Je suis assez diplomate, alors j’ai juste regardé mes pieds, et je suis tombée dans une espèce de mutisme profond.
Et après, heureusement, tu rencontres des gens bien, tu déconstruis et tu reconstruis… Maintenant, je suis autant en colère en fait, contre une structure, contre une domination masculine, contre un patriarcat, mais c’est plus politique en fait. Ce n’est plus un truc aussi vivace et aussi tribal que ça pouvait l’être quand j’étais jeune. J’arrive à prendre du recul sur ce sexisme en fait, à avoir des outils d’analyse et de défense. A le vivre de manière plus sereine.
Aujourd’hui, je sauve à mon tour d’autres nanas. Depuis juin, je l’ai déjà fait trois fois, souvent avec des ados. Et ça marche bien parce que c’est une technique qui n’est pas trop frontale, qui crée du lien avec la victime et lui donne plus de force. Tu crées un collectif face à un connard et ça fonctionne.