« Ici, je ne peux pas être l’homme que je voudrais être »
Mustapha – Maroc
Ici, l’homme, c’est ce mâle, forcément dominant, qui est vénéré. Il n’y a pas de place pour ceux qui veulent exister en dehors de cette loi.
Je sais de quoi je parle, parce que j’en ai souffert. A 24 ans, lorsque j’étais encore étudiant, la voisine du dessous, qui avait un tas de problèmes et qui était mon amie, a affirmé que je l’avais déflorée. C’était totalement faux, mais sous la pression de nos deux familles, j’ai été obligé de me marier avec elle. De mon côté, ce n’est pas mon père qui me l’a imposé, il est décédé lorsque j’étais jeune. C’est ma mère, par peur du regard des autres. J’ai divorcé 40 jours après parce qu’elle me trompait. Je voulais être cet homme libéral qui épouse une fille, vierge ou pas, et je me suis finalement retrouvé au tribunal dans une situation que je ne voulais pas.
Quelques mois après, ma mère m’a dit : « tu es déjà divorcé, et gentil comme tu es, une autre fille viendra t’attirer des ennuis. Tu dois te marier avec notre cousine. » Cette fille, je ne la connaissais pas, mais à force d’être poussé par ma mère et mes oncles, j’ai fini par accepter sans le vouloir. Mais ça n’a pas marché, il y avait beaucoup de disputes à cause d’elle à la maison avec ma mère, mes sœurs et moi… alors on a divorcé, à nouveau sous la pression familiale.
Même en tant qu’homme ici, tu ne décides pas de ta destinée. Les hommes, les femmes, la société décident pour toi ! Cette histoire est intéressante, parce qu’elle m’a justement poussé à devenir par moments cet homme, ce cliché, que je ne voulais pas être. Mais dans cette société, la différence est mal acceptée. Et ce n’est pas si facile que ça pour les hommes non plus. Même si je suis resté un cas spécial, en ayant aujourd’hui pour épouse une femme rejetée par sa famille, avec qui je suis très heureux, je ne peux pas être l’homme que je voudrais être au quotidien.
Beaucoup d’hommes marocains aujourd’hui vivent encore avec leur famille, comme moi, faute de moyens. Avec 2500 dirhams par mois (250 euros) et trois personnes à nourrir, je ne peux pas avoir ma propre maison. Et, au sein de cette grande famille, je ne peux pas être celui que je veux, parce qu’il y a mes frères, mes oncles et ma mère qui n’ont pas la même mentalité que moi.
Si on estime que tu n’agis pas comme il faut, on choisit pour toi, on te contrôle, ou on te met à l’écart. Au café, entre amis, on se juge aussi en permanence. Si on estime que tu laisses trop de liberté à ta femme, on rit de toi et on t’insulte. Et même ceux qui ne sont pas machos à la maison le cachent en public et jouent le rôle de l’homme viril qui ne se laisse pas faire. Je joue aussi ce rôle. Et je suis aussi parfois mon propre ennemi, en agissant ou en pensant comme le produit d’une famille et d’une société très patriarcale.
Ici, on a tous une double personnalité par protection : celle que l’on montre, et celle que l’on est vraiment. La dernière n’a pas beaucoup de place pour exister et c’est parfois douloureux.